C'est une petite histoire de rien du tout
Ça s'est passé dans un ensemble de grandes maisons, avec
une sorte de jardin au milieu. On avait même le droit de marcher
sur la pelouse, enfin, quelquefois !
Les enfants, toute une bande de filles et de garçons, attendaient
impatiemment Noël.
Noël, c'est le moment où on peut demander des choses un
peu extraordinaires, un peu folles, ou tout simplement des choses dont
on a très envie, et quelquefois on les reçoit. Sinon, on
les redemande l'année suivante, si on n'a pas changé d'avis
entre temps
En général, on est très content des cadeaux qu'on
a eus
Pourtant, dans cette bande, tous les ans, tous les enfants avaient l'habitude
de demander la même chose : une panoplie d'indien
Avec des plumes grandes comme ça, des franges, une hache de
guerre, une tente, enfin tout le nécessaire, quoi
Et alors là, le jour de Noël, il se passait quelque chose
de bizarre : en déballant leurs paquets, tous les garçons
trouvaient la panoplie d'indien dont ils avaient rêvé, mais
les filles, elles, recevaient une panoplie d'infirmière, de ménagère,
de majorette! N'importe quoi !
Tout le monde disait merci, bien sûr, on ne gâchait pas
le plaisir des parents, mais quand les enfants se retrouvaient pour jouer
dehors, ça posait des problèmes
Ça n'allait pas du tout ensemble !
Bien sûr les indiens se battaient en poussant des cris horribles
! Alors les infirmières, à la rigueur, pouvaient servir un
peu
Mais le mercurochrome passait tout entier dans les peintures de guerre,
et le sparadrap servait à recoller les plumes
Les ménagères, elles, devaient balayer les tentes, pas
très amusant, et puis leurs casseroles n'étaient pas assez
indiennes, ça n'allait pas du tout !
Quant aux majorettes, elles se retrouvaient à tous les coups
au poteau de torture, et on ne peut pas dire que c'était vraiment
drôle !
Ça dura plusieurs années, puis finalement les filles en
eurent vraiment, vraiment assez !
Pendant tout le mois de novembre, voyant que le moment approchait,
elles cherchèrent des solutions
On ne pouvait pas passer un Noël de plus comme ça, à
se faire ridiculiser par les indiens !
Un beau jour enfin, Agnès, celle qui avait toujours de bonnes
idées, descendit l'escalier de l'immeuble à toute vitesse
en criant :
- Ça y est j'ai trouvé ! À quatre heures et demie,
les filles, on se retrouve et je vous explique !
En sortant de l'école elles allèrent toutes ensemble trouver
le marchand de jouets
Après avoir longtemps discuté, après s'être
fait expliquer toute l'histoire, le marchand dit :
- Bon d'accord ! Si vous êtes sûres que ça marchera
Et quand les parents vinrent acheter les cadeaux, toutes les panoplies
de majorettes, d'infirmières, de ménagères avaient
disparu
Il n'y avait que des plumes !
- Catastrophe ! Que va-t-on donner à nos filles ?
- Mais regardez dit le marchand, il y a des panoplies d'indiennes, (en
réalité, c'étaient exactement les mêmes ! Il
avait juste rajouté au feutre, un N et un E après "indien",
et on lisait "indienne". Il y avait les mêmes plumes et la hache
de guerre, tout !)
- Ah bon ! dirent les parents, puisqu'il n'y a rien d'autre
Et le jour de Noël, tu aurais vu ça ! Ce que les filles
étaient contentes ! Et la tête des garçons ! C'est
qu'ils ont eu un peu peur, tout de même !
Ils se sont dit : Oh ! Oh ! C'est pas juste, c'est nos plumes ! -ils
avaient tellement l'habitude, tu comprends ?-
- Et pourquoi on n'en aurait pas des plumes, hein ? On court bien aussi
vite que vous, et pour ce qui est de pleurer, les copains, ça vous
arrive autant qu'à nous !
Et quand tout le monde dégringola les escaliers avec ses plumes,
tu aurais entendu ces hurlements sauvages !
Et tu ne sais pas ? Finalement, les garçons ont trouvé
qu'ils s'amusaient bien mieux comme ça, sans blague !